vendredi 23 décembre 2016

26) FIN DE PARTIE


Pleine lune - Nuit du 2 octobre 2001




Rêve baroque et somptueux. L'un de ces rêves que l'on ne devrait avoir le privilège de vivre que la veille de sa mort... la nuit même de sa mort.
Je ne saurais le raconter sans le trahir.
Ce ne sont pas les anecdotes seules de ce rêve qui sont étonnantes, comme ce garçon très beau, très blond, en uniforme d'étudiant dont le costume d'un gris étincelant bordé de fines rayures bordeaux/bleu nuit/ moutarde était la perfection du genre. Ou cette visite dans la petite échoppe sombre de Rumeau qui ravitailla ma pipe anglaise d'un tabac à longs copeaux noirs, semblables à des filaments de réglisse, qu'il prétend d'origine écossaise.
Non, c'était l'harmonie générale, le sentiment éblouissant d'appartenir à ce monde, à ce grand monde, en harmonie avec lui même. Pour la première fois depuis bien longtemps, je fais le rêve récurrent de cet appartement fantastique, théâtral, que je ne possède pas, que je n'ai jamais possédé. Mais dans le rêve de cette nuit, un immeuble neuf a été construit en lieu de place du bel immeuble ancien.
Et cette fois, la demeure est occupée, louée, je ne puis y pénétrer d'emblée. Je dois parler aux personnes qui l'habitent et je fais, au fil des étages et des conversations des rencontres époustouflantes.
Et toujours, je me sens bien dans ma peau, dans mon corps, dans le sentiment que j'ai de moi-même. Je ressens un bien être exceptionnel.
Il y a aussi ce banquet chez Mme X, dont je suis le roi de la fête, placé à sa droite, ayant à ma droite une jeune fille d'une beauté admirable.
Lorsque je sors ma pipe et la bourre du noir tabac écossais de Rumeau, je sens mes doigts s'empuantir au contact mou de ce tabac travaillé au miel et à l'alcool. La fumée m'étourdit.
Mais, à un moment donné, Mme X me tend sa bouche et je l'embrasse. Elle pousse un énorme et long cri qui se prolonge en un rire cristallin, à note unique, soutenu et relayé par un jeune homme et que l'assemblée reprend de proche en proche. Les images, les impressions, les sentiments vus et éprouvés sont intenses.
Pas une fausse note.
Et lorsque la jeune fille placée à ma droite veut recueillir sur ma bouche l'haleine chargée par le tabac qui provoqua le cri de Mme X, je la lui abandonne et partage un instant de volupté intense.




Je me réveille. Ma bouche est pâteuse, je ne me suis pas lavé les dents, je n’ai pas ôté mes deux prothèses, ne les ai pas lavées avant de les déposer pour la nuit dans leur bain de stéradent.





Les pauvres types qui nous gouvernent
Octobre 2001 – La période est curieuse. Les nouvelles sont floues. La bourse poursuit son yo-yo. Dans la rue, les gens sont énervés. Oussama ben Laden tire les ficelles de l'Histoire du Monde, comme jadis, il y a mille ans, le Vieux de la Montagne, du haut de la forteresse d'Alamut.
Les pauvres types qui nous gouvernent, surpris et désemparés devant l'audacieux attentat à leur autorité, à leur dignité que leur inflige cet homme et sa bande de fidèles, demeurent bavards et pantois.
L'Américain rodomonte, l'Anglais s'agite, Chirac bêtifie et son acolyte socialiste appelle à la consommation civique...
L'histoire telle que que nous la vivons est aussi belle qu'une tragédie antique.
Nous vivons de grands moments et la plupart des peuples des grands tourments.
Tout ce que les conteurs antiques, les écrivains de science fiction, les prophètes nous ont annoncé, nous le vivons pas dans notre chair même, mais à la télévision.
Les images cent fois revues de ces avions de ligne s'écrasant contre les tour de New-York à quelques minutes d'intervalle, dans un ciel sans nuages, restent gravées en nous comme le sont travaux d'Hercule, l'incendie du Temple d’Ephèse, ou les bombes atomiques ayant rasé Hiroshima et Nagasaki.
Et, jour après jour, cette fumée épaisse, qui persiste, s'échappe des décombres, ces morts que l'on ne remonte pas, ces images fantastiques de l'enchevêtrement harmonieux des poutrelles d'acier fondues, tordues, des arrogantes tours jumelles qui témoignent de la beauté que peut prendre l'horreur.
Pleine lune. Mes yeux réparés voient deux lunes.
Chaque époque de l'humanité a ses dieux, ses fantasmes, ses modes.
Dans notre société de consommation occidentale, cette société sûre d’elle-même, policée, glorieuse, organisée, libre, et nombrilisme et totalement infatuée d'elle-même, seuls quelques grands événements tragiques viennent perturber l’ordre établi. Et ces malheurs seuls sauvent un peu de l'âme de notre temps.
Notre société, notre civilisation qui se veut de droit et s'en gargarise, est la plus épouvantable et merveilleuse expression du non droit.
Notre monde tel que la télévision, les magazines, les livres le montrent et le racontent n'est pas le monde tel qu'il est. Ni même ce que nous voudrions qu'il soit.
Vu de la Lune il est une magnifique planète bleue. Vu de trois cents mètres d'altitude, il est une fourmilière. Vu de très près, c'est un étrange amoncellement de beauté et de laideur, un enchevêtrement d'horreur, de bonheur et d'honneur.
Vendredi 5 octobre 2001 – Charlotte ramène un jeune pigeon apparemment tombé d'un nid et qui ne vole pas encore. Son plumage n'est pas entièrement formé et, ici et là, il lui reste des poils. Il ne semble pas blessé. Faute de cage, il loge dans un petit garde-manger grillagé retrouvé dans notre cave où il ne peut pas étirer ses ailes.
Charlotte le nourrit à la becquée, de jaune d'oeuf, de pain trempé dans du lait.
Trois ou quatre fois par jour, elle lui apprend à voler.
Dimanche 6 octobre. – C'est à nouveau la guerre. Les Américains et les Anglais bombardent l'Afghanistan déjà dévasté et ruiné par plus de vingt ans de guerre et d'occupation étrangère. Les médias mentent. Les journaux déchaînés distillent la haine et le mensonge.
Jeudi 11 octobre. – Titi le pigeon se porte bien, il mange et boit parfois sans aide, sort volontiers de sa cage et s'y réfugie prestement en cas de bruit. Il sait battre des ailes, planer sur un mètre, mais ne se soutient pas encore en l'air d'une façon autonome.
Dimanche 14 octobre. – Charlotte a emmené Jonpi (Titi) à Bourron-Marlotte. A la Plaine Verte elle l'a lâché. L'oiseau s'est installé sur la plus basse branche d’un arbre.
Charlotte et Frédéric sont allés se promener. En revenant, elle ne vit plus Jonpi sur sa branche. Il s'était frileusement blotti contre un pneu de la voiture, à cent mètres de l'arbre.
Depuis, il ne mange plus.
Mardi 16 octobre 2001. – Jonpi est mort. Il est dans le congélateur, en attendant un enterrement symbolique à Bourron.
Vendredi 16 novembre. – Ce qu'il y a de "magique", de merveilleux dans le monde actuel où la plupart des hommes sont tellement attachés aux choses matérielles, à l'argent, aux richesses, aux médias, aux gadgets, à la télévision, c’est qu'un homme resté libre, pas forcément dénué de qualités, sans moyens, sans argent, sans signes extérieurs de richesse, n'intéresse plus les foules imbéciles et n'est plus assiégé par les importuns.
Mardi 4 décembre 2001. – Le docteur Dan Baruch m'annonce que je suis diabétique. Pas encore le gros diabète, mais un diabète sérieux, bien établi, qui peut me rendre très vite aveugle et gâteux, etc. Je me doutais depuis un certain temps que tous ces symptômes de fatigue, ces sensations d'envahissement de l’intérieur, de jambes lourdes de mémoire qui flanche avaient une cause sérieuse. Eh bien la voilà. Me voici devant le dilemme: cesser de boire du vin, de manger trop riche, de ne pas m'efforcer de marcher au moins une heure tous les jours, ou devenir aveugle.
Ce qu'il y a d'extraordinaire chez moi c'est que mon instinct de survie est perverti: j'aurai beaucoup de peine à supprimer le vin.
Jeudi 6 décembre 5 heures – L'épilogue d'un rêve tragique me réveille. Je suis à Genève. Le pont du Mont-Blanc a été détruit côté Cité. La tour et le flèche de la cathédrale St-Pierre ont disparu. On devine un moignon de pierre dans la brume. Un silence tragique s'est étendu sur la ville. Pas une auto. Pas un passant. Moi seul m'aventure sur la chaussée glissante du pont balayée par la bise noire.
Aux nouvelles, la traque de Ben Laden se poursuit dans le massif afghan de Tora Bora. En Israël c'est une guerre civile atroce et inhumaine.
Pourtant, au milieu des imprécations, une voix israélienne courageuse s’est élevée, sans doute parmi beaucoup d'autres mais étouffées par les médias. Le Monde d'aujourd'hui écrit: « Les Israéliens sont le peuple le plus internaute du monde. Le site du Yedioth Aharonot, le grand quotidien populaire du pays, fourmille de débats.
Lundi 3 décembre. – Au lendemain des attentats meurtriers du Hamas contre Israël, sur ypet.co.il, un long commentaire, intitulé « La mort a un gouvernement », a suscité un nombre inhabituel de réactions. Parce que son auteur, n'est pas n’importe qui. Nourit Peled-Elkhanan est la fille du général Mattityahou Peled, une gloire militaire d'Israël devenu, après 1967, un adversaire acharné de la colonisation.
Parce qu'elle est elle-même une victime du terrorisme aveugle: en 1997, sa fille Smadar, quatorze ans, a succombé à un attentat du Hamas à Jérusalem. Parce que son message accusait la politique « aveugle » d'Ariel Sharon. « Dylan Thomas a écrit un poème intitulé "Et la mort n'aura pas de gouvernement".
En Israël, la mort a un gouvernement. La mort gouverne ici et ce gouvernement est un gouvernement de mort », lance Mme Peled. « La machine d'endoctrinement israélienne parvient à présenter ces attentats comme déconnectés de toute réalité israélienne. Il y a des "assassins arabes" et des « victimes israéliennes". Mais celui qui a de la mémoire (...) sait que ces attentats ne sont que les derniers en date d'une chaîne d'effrayants événements sanglants, qui ne cessent pas depuis trente quatre ans. Et qui n´ont qu'une seule raison: une occupation cruelle.
Une occupation, qui signifie humiliation, faim, impossibilité de gagner sa vie, démolitions de maisons, arrachage des arbres, assassinats d'enfants, internements de mineurs sans procès dans des conditions abominables, morts de bébés aux barrages militaires et leurre politique. » Nourit l'Israëlienne refuse la politique d’un homme, Ariel Sharon, qui « transforme nos enfants soit en assassins, soit en assassinés ».
Immense émotion, réactions sans fin sur le site. insultes: « imbécile », « Espèce d'occupante, qu'attends tu pour partir d'ici ? ». « Quand comprendrez-vous que nous avons affaire à des assassins dégoûtants assoiffés de sang, inhumains, des M 0 N S T R E S ? », demande Shirat. « Vous êtes, écrit Mikhal, avocate, qui vilipende les « défaitistes », la preuve vivante que les Palestiniens l'emportent. » « Et allez donc, ajoute Haïm, de Natanya, c'est encore nous les coupables! » Beaucoup d'internautes sont offusqués du contenu du texte, mais respectueux de la douleur d'une mère. « Où est la gauche palestinienne qui pense comme vous? », lance ironique, l'un d'eux.
On trouve, cependant, des messages de soutien en nombre inattendu, des « bravo! », des « ne lâchez pas », « enfin quelqu'un qui dit la la vérité! ». « Nous ne comprenons que la force. Il a fallu des centaines de morts pour que nous nous enfuyions du Liban. Pour partir de Judée et de Samarie, nous en aurons apparemment besoin de quelques milliers », signé Tal, de Haïfa.
« J'ai été votre élève au lycée, lui écrit Rina, de Jérusalem. Et j'ai été bouleversée par la disparition de votre fille. Mon point de vue est différent du vôtre pour ce qui touche à l'occupation et aux crimes que, supposément, nous commettrions. Mais je suis heureuse que, justement parce que vous avez vécu un si grand malheur, vous ayez su continuer à garder vos idées et à les clamer encore et encore. Courage. »
J'ai toujours mis en pratique cette maxime de Buzzati. Erreur de ceux qui se disent : « Soyons laborieux, avares si nécessaire, jusqu'à trente ans, et puis nous nous amuserons. » A trente ans, ils auront le pli de l'avarice, de l'activité, et ils ne s'amuseront plus. (Cesare Pavese Le Métier de vivre, 4 avril 1941).
Je me suis amusé, j'ai voyagé quand j'étais jeune, aujourd'hui, triste vieux rabâcheur, il est bien temps de me mettre au travail. Je n'ai jamais été avare de mon temps, ni de mon argent. Je suis une cigale, pas une fourmi.
7 décembre 2001. – La "descente" s'accélère. Mes électrons se barrent par millions, mes neurones fichent le camp. Je suis comme le web en situation de crise.
Les informations peinent à passer. Je me désassemble.
Depuis deux jours je tente vainement de me remémorer les quatre prédicateurs du grand siècle: Bourdaloue, Massillon d'Hyères, Oratorien, l'aigle de Meaux, auteur de célèbres sermons accompagnant les funérailles des grands de ce monde et le quatrième mousquetaire...
Pour la première fois je mets le doigt sur une lézarde qui devient faille.
10 décembre 2001 – Les Américains en Afghanistan et les Israéliens en Palestine se conduisent comme des barbares. Ariel Sharon et George W. Bush commettent non seulement d'impardonnables crimes contre l'esprit mais des crimes abominables et contre nature au nom de la civilisation judéo-chrétienne.
20 décembre 2001 – Olivier Jammet m'annonce le décès de son père André.
Crise cardiaque en gravissant à pied l'escalier de son immeuble. André était petit, mince, sportif. Forte tête, cabochard même, il ne buvait pas, ne fumait pas, était la sobriété même. Il se déplaçait à pied. Beaucoup d'allant, de talent, pauvre et dynamique. A chaque rencontre nous nous affrontions en paroles, confrontions avec vigueur nos idées opposées.
27 décembre 2001 – Aujourd'hui, une certaine réalité quotidienne relayée par les médias dépasse en intensité la fiction la plus débridée. Sur les écrans de la télévision les reportages sont plus étonnants que les films virtuels…


2002 - Une époque formidable
7 Janvier 2002 – Peut-être ai-je répété et répéterai-je cette formule trop souvent : nous vivons une époque formidable... La plus fantastique de tous les temps. D'abord parce que nous sommes en vie et que nous la vivons. Je ne me lasserai jamais de m'émerveiller devant l'extraordinaire privilège que nous avons tout simplement de vivre et d'en être conscients.
Certains de mes amis souhaiteraient vivre au Moyen-Age, à l'Âge d'or de l'homme encore sauvage, ou sous l'Ancien régime, avec ses rois, ses tournois, ses privilèges...
Moi j'aime passionnément notre temps. Il offre à beaucoup d'entre nous d'apprendre, d'étudier, de créer, de sentir, de ressentir.
Nous avons la chance de vivre, après des siècles de mûrissement lent, de retours en arrière imprévus, de transition douce, de progrès et de régressions qui s'équilibraient, à une époque où tout s'accélère dans tous les sens: vers le meilleur et vers le pire.
Chacun d'entre nous, s'il le veut, peut connaître, voyager, étudier, créer.
Le travail pour beaucoup n'est plus une corvée mais un plaisir et un enrichissement, même si pour une majorité il reste un esclavage.
Aujourd'hui, nous avons à peu près exploré toute la surface de la terre, une partie des profondeurs maritimes et gratté la surface de l'intérieur de l’écorce, effectué quelques sauts de puces dans l'espace, vu la terre de loin, mis un pied sur la lune, envoyé des fusées vers d'autres planètes.
Nous nous sommes créé des outils extraordinaires, des techniques redoutablement efficaces pour aller de plus en plus vite, de plus en plus loin. Mais chaque progrès amène son revers. Chaque découverte son handicap. Chaque percée sa sape.
Imaginons l'étonnement de M. de Voltaire revenant en notre bon royaume devenu République, prenant le métro à l'é toile pour gagner Montparnasse, voir au passage la Tour Eiffel. Monter à bord du TGV pour rejoindre Ferney-Voltaire, emprunter l'avion pour Rome ou New-York! Imaginons un instant sa surprise devant quelques scènes de notre vie quotidienne comme les "nouvelles du monde" à la télévision. La lumière électrique. La femme émancipée, égale de l'homme, insolente et provocante. La machine à laver le linge. Un service de chirurgie dans un hôpital moderne. L'éclairage des villes. Le RMI. Les grèves, les manifestations, les débordements tolérés de nos nègres, de nos immigrés, de nos voyous... Les arnaques et les bénéfices boursiers. Les voitures automobiles. Les usines gigantesques. Les centrales atomiques. Oui, imaginons la tête de notre bon Monsieur de Voltaire à la vue de ces choses, lui qui retirait le plus clair de ses revenus de la traite des nègres et de l'affermage de ses terres.
Nous vivons une époque formidable où, comme dans toute autre époque, le meilleur côtoie le pire. Une époque où tout est excès mais où l'homme solitaire peut se retirer dans une thébaïde, où le moine peut méditer à son aise, où l'artiste peut créer librement à l'abri de toute censure.
Mais cette vie moderne idéale a ses terribles revers. La technique a apporté aux hommes le meilleur et le pire: des armes terrifiantes, des systèmes politiques impitoyables, une industrie effroyablement polluante, la destruction systématique de la nature, l'anéantissement de la pensée et de l'art transcendantal au profit d'un art vulgaire et d'une pensée médiocre.
Nouvelles du jour :
Un jeune Américain âgé de 15 ans, Charles Bishop, apprenti pilote, décolle sans autorisation à bord d'un Cessna, et, après dix minutes de vol l'écrase contre la façade de 40 étages de la Bank of America, à Tampa (Floride). Dans une lettre retrouvée dans une de ses poches, il "exprimait sa sympathie pour Oussama ben Laden et son soutien aux opérations du 11 septembre."
Deux-centième anniversaire de la naissance de Victor Hugo, le grand écrivain et poète national. L'incroyable et sinistre pédé inculte, Jack Lang, ministre de l'éducation nationale, décide d'imposer aux écoles de tout le pays, une lecture d’un texte de Victor Hugo aux élèves.

Enquête faite, l'immense majorité des adolescents français ignorent qui est Victor Hugo mais savent qui est Zinedin Zidane ! (un footballeur).

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Depuis quelques mois mon organisme se transforme.Ce n'est plus mon esprit qui commande à mon corps, dirige ma volonté. Insidieusement, sans crier gare, s'est opéré en moi un complet retournement reléguant ma vie diurne, consciente, active dans un état larvaire pour lui substituer une fantastique, merveilleuse et très riche vie nocturne, inconsciente, transformant chacun de mes rêves en une autre réalité.
Ma véritable vie ne réside plus désormais dans cette état semi comateux de papy Alzheimer se traînant, errant de velléité avortée en trouble incertitude, mais dans cette extraordinaire et bouleversante existence qui débute chaque après-midi lors de la sieste et reprend chaque soir aux portes du sommeil. Il m'arrive parfois comme William Blake de ne plus savoir si ma vie est réelle.

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Crachat
23 Janvier 2002 – Pédé, drogué, chtarbé, pauvre type, riche con, Yves Saint- Laurent s'en va, misérable pantin pathétique adulé par les médiocrates, les voyous, les stars minables du show biz, lâché par les escrocs qui l'ont fabriqué pour amuser les foules, descendu en flammes par ses thuriféraires, le jour même où les infirmières libérales au salaire de misère, harcelées par les complices de fonctionnaires gavés, par la misérable sécu et les mafieux de tout poil qui nous gouvernement ayant à leur tête un drôle de coco de président indigne, traînant mille casseroles à son cul. Pauvre France! Ton franc fout le camp, ta tronche pourrit par la tête, tes élites le cerveau mité et feu au cul plastronnent...
La télé, cet écran de merde pour traîne-savates, le parlement, un ramassis de pourris incapables à cerveau de méduse, les partis politiques regroupement d'escrocs, de voleurs, de menteurs, d'incapables mafieux qui se tiennent par la barbichette, les associations caritatives maquées par les voyous, un peuple avachi devant sa télé de merde, ne sachant plus quoi faire de plus con pendant les 50 heures de loisirs qui lui restent chaque semaine après dodo, boulot, popo, banco, votant pour le plus bête, le plus menteur, le plus scélérat, le plus nul, le plus foot, le plus branché, drogué, falot, parano, patho, saoûlé, zapé, bref, le plus jospo chabrac.
Ha ! Nous vivons une époque pathétique et merveilleuse, une époque admirable et fantastique, une époque que nous avons bien méritée: une époque fabuleuse où le diable et le bon dieu jouent au poker-menteur, au tric-trac, où les anges travestis investissent dans les bourses, où la connerie devient sublime, l'ordure oeuvre d'art, l'assassin prophète, le truand gentilhomme, le prêtre pédophile et le poète clochard.
Réjouissons-nous ! Nous avons l'internet et la téloche! Nos voitures brûlent, nos industries délocalisent, nos élites s'enculent, les adultes démissionnent pour jouer au tiercé ou au loto, nos églises se vident, les stades sont pleins de voyous qui regardent vingt-deux crétins milliardaires shootés à mort que le destin folâtre larguera au dernier but. Je me rattrape dans mes rêves…
19 février 2002 – "Mes nuits sont plus belles que vos jours..." Je ne me souviens plus quelle jeune écrivaine publia un beau livre sous ce titre. Mes rêves, en effet, sont, nuit après nuit, époustouflants. Ce sont mes grands voyages à moi, mes explorations, mes escapades dans le ciel et l'espace.
Cette nuit, j'ai rêvé de la Bretagne. Une Bretagne de l'intérieur, comme je ne l'avais jamais vue. Une Bretagne fantastique... je me rendais chez mes amis de Baden lorsque, au détour d'une route de bord de mer, pressé par une intense envie de pisser, j'engageai ma voiture sur un chemin de terre grimpant vers une colline boisée, entre deux haies denses. Le chemin encaissé était si étroit que je ne trouvais pas d'emplacement assez large pour me garer et soulager ma vessie.
Soudain, devant mon capot, un attelage d'autrefois. S'avançait à pas lents, un laboureur au large dos flottant sous une blouse trop large pour son corps râblé, marchant derrière une vieille charrue de bois entraînée par un cheval lent.
Le paysan ne se retourna pas. Mais soudain, je vis le cheval s'envoler droit devant lui vers le ciel, entraînant dans son sillage la charrue et l'homme, le tout disparaissant dans un ciel bleu, sans nuages.
Dès lors débuta pour moi une incroyable aventure au coeur de la Bretagne. Une Bretagne irréelle. Fantastique. Un voyage dans la beauté, la plénitude, l'harmonie.
Une aventure indescriptible dans un autre monde, sur un autre plan, s’étendant dans une toute autre dimension. Les formes, les couleurs, les sensations n’étaient plus les mêmes.
Les monts d'Arrhée devenaient une chaîne de pics de cristal déchiquetés pur élan d'amour dressé vers le ciel. Parvenu au col, entre les deux mers, je voyais tout proche, en contrebas, un divin marais d'or où naissait une rivière aux méandres d’un bleu onirique et profond qui devenait fjord, estuaire, baie se confondant bientôt avec une mer soulevée en tempête.
Mais les mots ne peuvent traduire ces sensations...
Ce qui me reste de ce voyage en "magonie" c'est une impression d'extase, de paradis, de plénitude, d'absolu. Je me réveillai en "joie", en "béatitude", en "certitude".
Plus de doute, d'ambivalence, d'hésitation.
17 mars 2002 Campagne électorale Élections = Piège à cons proclamait un célèbre graffiti de Mai 68. Les étudiants révoltés n'avaient pas tout à fait tort. Les dernières élections présidentielles ont permis au bon peuple ébahi d'assister à une somptueuse et roborative pantalonnade. Le brave Jean-Marie arrachant à l'honnête et sinistre Jospin la seconde place, menaçant le pauvre Maître Jacques à la culotte! Quel spectacle délicieux!
Puis, l'union sacrée des socialos, cocos, gauchos, cathos, écolos contre le courageux Breton, leurs sarcasmes, leurs mensonges, pour parvenir à élire le plus menteur, voleur, crétin de tous les présidents! Ah! nous autres hommes libres vécûmes là quelques grands moments!


9 juillet 2002 - Lever à 5 heures.
Ce matin, nous avons rendez-vous au Palais de Justice devant le juge des référés. Nous sommes assignés par nos "amis" et associés Cordier pour, entre autres, un « détournement de fonds » dans l'administration de la SCI de Carlanne.
En ouvrant la radio, Charlotte entend ce matin dans la bouche de l'Astrologue de service, le propos suivant :
"Aujourd'hui prudence, risque de procédure".
A neuf heures pile, dans la salle d'attente, nous voyons que notre "affaire" est incite en neuvième position. Notre avocat n'est point là, ni celui de "nos amis", ni même nos amis. Nous attendons sagement, observons le va-et-vient, les allées et venues des robes noires et des justiciables. L'endroit est noble, propre, austère, un peu guindé. Mais les "trognes" n'ont pas changé depuis Daumier.



A dix heures, personne, nous interceptons la greffière. Elle nous dit que notre affaire est passée la première ! A neuf heures. En présence de nos avocats.
Comprenne qui pourra !
30 décembre 2002 – J'épluche de grosses carottes offertes à Charlotte par un cultivateur breton. Elles sont vraiment énormes, difformes, mais élevées en plein air, sans engrais. Elles ont le parfum et le goût des carottes d'autrefois, elles sont délicieuses.
Aujourd'hui sur les marchés parisiens, sur l'étal des marchands, dans les grandes surfaces, les fruits et les légumes ont des formes et des couleurs parfaites.
On dirait des clones d'un modèle idéal. Les tomates et les pommes sont rondes, sans défaut. Leur couleur est artificielle. Idem pour les légumes.
Les carottes et les pommes de terre sont bien propres, calibrées, sans aspérités.
Il en va de même avec les vedettes de la télévision, les chanteurs à la mode, les hommes politiques. On ne voit plus guère de hures, de trognes, de ces têtes qui faisaient le bonheur des caricaturistes.
Pour réussir dans la vie, en politique, sur une scène, dans les affaires, il faut, de préférence, « paraître » plutôt qu'être ».
Si bien que pour se différencier, se mettre en valeur, se faire valoir, il ne reste plus que les apparences extrêmes. Le barbu, chevelu, crade, crapoteux, minable ou le bcbg cravaté et rasé de près. Plus de caractère. De la poudre aux yeux.


2003
Norbert : briseur de secret des banques suisses
Les banques suisses, très attaquées en cette fin de millénaire, – l'une d'elles est aujourd'hui l'une des trois plus puissantes banques du monde – , a beaucoup servi au cours de notre siècle tumultueux, à la fois de refuge pour les capitaux de personnes menacées mais aussi pour les trafiquants, les truands, les spéculateurs de haut vol.
Le compte numéroté, si décrié de nos jours, fut inventé avant la guerre de 39/45 pour permettre à des personnes menacées de spoliation domiciliées dans des pays totalitaires, de placer leurs économies à l'abri des prédateurs officiels.
Elle permit aux Juifs que les nazis puis les soviets détroussaient sans scrupules, de sauver quelques biens sans trop de risques.
Les banques suisses abritèrent aussi tour à tour l'or de Moscou avec lequel les Bolchéviks entretenaient leurs espions et les partis à leur botte, l'or nazi, des oeuvres d'art et des bijoux volés, l'argent sale des trafiquants de tout poil, notamment des seigneurs de drogue.
Mais cette possibilité d'entreposer des richesses à l'abri du fisc ou de prédateurs politiques avait son revers. En effet, combien de capitaux en déshérence dormant ou fructifiant durant des années dans les coffres n'ont jamais été récupérés par leurs propriétaires légitimes ou leurs héritiers.
Aujourd'hui – juillet 2003 – la revue des Suisses à l'étranger que je reçois périodiquement de l'ambassade, affirme que les banques suisses gèrent un tiers de la fortune privée mondiale grâce au secret bancaire !
Norbert S, un ami de collège, n'ayant comme moi jamais achevé ses études, débuta sa carrière dans une banque comme coursier pour gravir rapidement quelques échelons puis devenir le responsable du service des comptes numérotés et des coffres "spéciaux" d'un des plus importants établissements financiers genevois. Son travail délicat lui permit d'entrer en rapport avec des collègues d'autres banques et il devint l'un des spécialistes incontournables de cette profession.
Homme de main du grand capitalisme, mais homme d'honneur, il était scandalisé par ce qu'il entendait, voyait et exécutait.
Le jour où il donna sa démission, ce fut la panique. Il en savait trop. Il en savait parfois plus que sa hiérarchie. Il devint l'homme à abattre, le type à tuer. Et, à plusieurs reprises, en effet, il évita de justesse des traquenards mortels.
Norbert devint la providence des héritiers spoliés... par les banques.
Combien de milliardaires, de chevaliers d'industrie du monde entier dissimulèrent durant des décennies leurs capitaux dans les Banques suisses pour échapper au fisc, ce qui est louable, mais également pour déshériter des proches qui avaient cessé de plaire, ou favoriser maîtresses ou amants...
Norbert se mit à son compte et devint le plus célèbre des chasseurs de comptes numérotés...
Au cours des années d'après-guerre, d'innombrables personnes tentèrent sans succès de retrouver les économies de parents morts en exil, en déportation ou à la guerre. Le système était inflexible.
L'État qui devait théoriquement recevoir au bout de trente ans (je crois), les capitaux non réclamés, toucha des clopinettes... Les banques se sucrèrent abondamment.
Preux chevalier de la finance, Norbert réussit à faire sauter quelques verrous, à faire rendre gorge à quelques puissants banquiers, à restituer aux héritiers légitimes la fortune de leurs parents morts au Goulag ou dans les camps de concentration nazis.
Je revis Norbert à Paris où, dans des hôtels discrets, des clients lui confiaient la mission de retrouver le magot familial.
Très discret sur ses activités, il m'en dit assez pour que je comprenne bien avant que différentes affaires n'éclatent, le fantastique enjeu de ces scandaleuses spoliations légales.
Il utilisa discrètement mes services lors de certaines enquêtes délicates. Je visitais pour lui les poubelles de certaines banques, récupérant des notes, des documents comptables, des listings informatiques, des brouillons de lettres.
Je faisais le pied de grue à la sortie des bureaux, repérant des employées que j'avais pour mission de séduire, souvent avec succès, et dont j'obtenais des confidences énormes sur l'oreiller...
En cela je faisais coup double... mais je ne m'étendrai pas trop sur ces activités qui me servirent souvent de canevas pour mes romans d'espionnage.
Norbert qui en savait beaucoup trop se savait traqué. Il disparut un jour sans bruit, sans laisser de traces. Je connaissais quelques unes de ses planques, il m'avait même confié le double de la clé de deux d'entre elles. Lorsque je m'y hasardai, le ménage avait été fait. Jamais plus Norbert ne donna signe de vie, ni à sa famille, ni à ses amis.
Me renseignant un jour auprès d'un des « patrons » des services spéciaux français de ce qu'était devenu Norbert, il me dit : « Ton ami a sans doute été « liquidé » ou « retourné », et toi tu ferais bien de faire attention où tu mets tes pieds.
– Mais je ne suis qu'un modeste auteur de romans d’espionnage. Je n'ai jamais « travaillé » pour aucun service ni pour personne, je ne fais qu'observer.
– Alors évite de fourrer ton nez dans les affaires nauséabondes.

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7 Janvier 2003 – Une journée et une nuit de vieillard Ce matin, réveil à 7 heures. Pipi dans le lavabo pendant que je me ravale à peine le museau. Pas de rasage. Les poils poussent lentement mais en "farine".
Dehors il fait froid. – 3– 4 degrés. Les trottoirs et les toits des voitures portent des traces de neige. La nuit de samedi à dimanche connut l'un de ces étonnants mélodrames que nous apporte la vie moderne.
Trente mille voitures bloquées sur l'autoroute au péage de St Arnould en Yveline. Une simple chute de neige formant un tapis de trois ou quatre centimètres, un peu de verglas et voilà quatre poids lourds couchés en travers de la chaussée formant barrage à la cohorte des vacanciers motorisés, les bloquant pour une quinzaine d'heures avec leurs mômes et leurs femmes dans l'entonnoir virtuel.
Ailleurs, ce sont les inondations, les incendies, les glissements de terrain qui apportent aux citadins scotchés devant leur téléviseur leurs nourritures spirituelles.
Le château de Lunéville a brûlé avec une partie de ses collections.
Vers dix heures, Fernande me téléphone. Sa voix n'est plus qu'un souffle, un râle léger. Elle me dit qu'elle "part". Qu'elle voudrait encore voir son fils une dernière fois. Il doit venir déjeuner. Elle voudrait qu'il vienne le plus tôt possible. Elle souhaite mourir chez elle. Fernande refuse de retourner à l'hôpital. Son pharmacien lui a donné l'adresse d'un médecin de quartier complaisant, aimable aux vieillards. Mais elle ne retrouve plus son numéro de téléphone.
A peine ai-je raccroché, que c'est Josy qui m'annonce que la prothèse de la hanche de Maurice s'est défaite. Le SAMU les a emmenés à la clinique Bachaumont.
Depuis 1 an, Maurice, 80 ans, a perdu la vue. Son épouse, petite souris diligente, infatigable, l'assiste jour et nuit avec un admirable courage.
Croyante, sa foi la soutient. Charlotte va leur rendre visite.
Je passe une partie de la journée à établir le compte de mes droits d’auteur depuis 1997, année où Charlotte est devenue mon éditrice.

7 Janvier 2003 – Cette nuit, rêve étrange.
JCC m'invite à Châtillon-Coligny. Je m'y rends en compagnie d'une amie inconnue à bord d'une très belle voiture de sport rouge.
JCC me donne rendez-vous dans un garage.
Là, avec un air mystérieux, il me déroule sur le sol en béton maculé de taches de graisse de vieux rouleaux de papier imprimé. Ce sont d'immenses pages de journaux anciens, au papier roussi, très curieux, imprimés en couleur, portant de magnifiques illustrations.
Mais ces pages ont été découpées latéralement et semblent donc incomplètes.
A l'intérieur du rouleau apparaissent des plaques photographiques, des daguérrotypes, des photos jaunies... Je suis passionné. Alléché. J'ai envie de faucher les vieux clichés... JCC nous abandonne. Il doit voir son imprimeur.
Avec mon amie nous visionnons le lot. Voulant voler quelques documents, je lui demande d'apporter à JCC un des rouleaux que je mets dans son coffre. Elle me dit qu'elle n'ose pas monter chez lui, que sa femme l'intimide. Je parviens malgré tout à détourner quelques vieux documents. [ flou ]
Nous sommes devant la maison de JCC. Nous déballons les vieux papiers et découvrons d'étranges objets. Un vieux costume de cantinière aux armées datant des guerres napoléoniennes. Il y a dans un petit sac à mains de vieilles pièces d’or, d'argent et de bronze, sur lesquelles je tente de faire main basse. Mais je suis surveillé par Mme Collard.
JCC me dit qu'il vient de signer l'achat d'un domaine de la région. Il m'y conduit pour que je lui dise ce que j'en pense. Nous arrivons devant un immense et somptueux bâtiment fortifié. Ce n'est que l'une des portes d'accès au domaine. La route pavée qui conduit au château est bordée de hautes murailles épaisses mais ornées, d'allure élégante.
Sortant du bâtiment fortifié une lourde, haute et imposante porte de bronze coulisse, verrouillant la chaussée. Le mécanisme qui l'anime est ancien et compliqué. A la fois manuel, – il faut six hommes pour actionner le volant de bois – et hydraulique – un système de chaînes animées par une roue à aube entraînée par l'eau d'un bief.
A bord de la voiture de JCC, un 4x4 tout terrain, nous remontons l'allée pavée bordée de murailles puis de grands arbres. Au loin, sur la hauteur apparaît dans la brume un château époustouflant.
Un palais de conte de fées. Une merveille d'architecture...
Alors, qu'est-ce que t'en penses ? me demande JCC. Mon rêve se termine là.
A Cannes, Mary Maykut est dans le coma. A son chevet, Ed et leur « nièce" Colette s'activent avec dévouement. Mary, dialysée 3 fois par semaine n'a plus qu’un rein et pèse 35 kilos. Il faudra que je raconte l'étrange histoire de mes amis Maykut.
La dent qui branle depuis un an va tomber... Je ne bande plus vraiment. Mes branles sont navrants, mes jouissances fugitives. Je vais bien à selle, mes urines sont tantôt claires parfois chargées. Je ne ferais pas amaroli.
Le petit monde d'Alphonse Allais
Dans la nuit du 8 au 9 janvier 2003, je fis une fois de plus un de ces rêves étranges et somptueux qui valent un grand voyage.
Première partie. Nous nous trouvions Charlotte et moi en Indonésie. à Moorea (sic). Un peu partout, l'armée est embusquée avec de longs canons, quelques armes inconnues lançant des flèches métalliques empoisonnées.
Nous étions déguisés en Indiens, la tête ornée de feuillages exotiques.
Comme je m'ennuyais un peu, je partis me promener dans la jungle épaisse à la végétation exubérante, avec de grands arbres entrelacés de lianes. D’immenses fleurs rouges, jaunes, violacées un peu partout parmi les fruits exotiques et une bande de singes.
Puis, sans transition, nous nous retrouvons en Normandie, en compagnie de deux amis indéterminés.
Nous piqueniquons dans le charmant vallon sinueux que formait la faille d’une falaise. Autour de nous, sur le gazon raz des Anglais endimanchés, vêtus de frac et de haut de forme, de chaussures vernies cassaient la croûte sous de vastes ombrelles en compagnie de leurs épouses guindées et renfrognées.
Je voyais avec curiosité ces Anglais d'habitude à cheval sur l'étiquette, tenir leurs os de poulet entre les doigts et les dévorer comme de vulgaires frenchies. Les os une fois rongés étaient jetés en l'air où de grands oiseaux, des goélands les saisissaient au vol et les avalaient goulument.
Mon repas terminé, j'allai me promener.
Un Anglais distingué, à moustache, en gilet, chemise blanche et pantalon noir à rayures lisait allongé sur un plaid. Il riait à gorge déployée à la lecture de certains passages de son livre. Intrigué je tâchait d'en lire le titre. C'étaient les oeuvres complètes d'Alphonse Allais.
Je félicitai l'Anglais pour ce choix et lui dis que j'aimais beaucoup Alphonse Allais.
Il me dit alors que c'était la date de son jubilé, et qu'il fallait absolument que je visitasse sa propriété transformée en Musée qui se trouvait pas loin de là où nous étions.
A partir de cet instant, le décor autour de moi se transforma. Le paysage réaliste, un peu terne, un peu triste, se transforma en tableau impressionniste, un tableau à la Dufy, mais dont tous les personnages étaient réels, réalistes, vivants, actifs.
Sans autre transition, je me retrouvai avec Charlotte sur un vaste ponton de bois en V donnant sur la mer très bleue où jouaient des baleines, des dauphins, des voiliers, des cargos et des paquebots. Tous ces bâtiments avaient des formes étranges. Ils étaient gais, parcouraient la mer en tous les sens, tandis qu'une foule de voyageurs descendaient sur le vaste débarcadère où des marins s'affairaient à rouler en galettes des cordages et des chaînes.
Un bonimenteur immense, proposait d'une voix monocorde émanant de sa bouche minuscule haut perchée au-dessus de ses longues jambes que l'on eût dit chaussées d'échasses, des propositions de voyages.
L'Amérique, mesdames, Messieurs, à moins de cent livres en classe de luxe.
La Chine, le Japon, l'Insulinde pour quelques roupies. Profitez de l'occase. Tous les voyages qu'a fait Alphonse Allais le plus British des Français ; Zanzibar, la Cochinchine, la Patagonie, le Groenland au prix d'un ticket de métro. Les îles parfumées et Bahia de tous les saints au prix d'une pinte de bière... N'hésitez pas.
Charlotte me chuchota qu'elle aimerait bien connaître New-York.
Le géant avait entendu son voeu.
Il se pencha vers nous, nous tendit deux billets pour New-York, en première classe, à bord de la "Queen".
Folle de joie, Charlotte se mit à sauter à la corde sur le vaste ponton, happant de sa corde quelques têtes de voyageurs qui tombèrent dans des paniers de voyage.
A deux pas, en mer, un étrange cargo d'acier brillant tout rond, mi-sous-marin, mi-baleine approchait du ponton.
Des voix s'élevèrent:
- Le bateau ravitailleur! Le bateau ravitailleur! Autour de ce bâtiment sorti tout droit d'un tableau de Hiéronymus Bosch, des hommes marchaient sur l’eau, entourés d'aigles, de chouettes, de goélands noirs, de chauve-souris et de singes volants.
Dans le lointain, un paquebot immense, aux quatre cheminées crachant de vastes panaches de fumée blanche approchait à toute vapeur. On voyait en gros plan les visages graves ou hilares de centaines de voyageurs pressés contre le bastingage des quinze ponts du navire. Entre les grandes personnes, des enfants blonds vêtus de costumes de marins, pissaient joyeusement dans la mer sans que personne ne les gronde.
Derrière nous arriva un cortège de personnages officiels, barbus, imperturbables. Le ponton parut plier sous le poids des nouveaux arrivants. Le plancher du vaste embarcadère en V au raz de l'eau se gondola, animé par le ressac. Le mouvement de plus en plus féroce imprimé aux planches entraîna un mouvement de panique à travers la foule.
Nous nous éloignâmes. Nous arrivons sur une route ancienne, non goudronnée, parcourue en tous sens par des diligences, de vieilles autos pétaradantes, des charrettes et des chars tirés par des chevaux ou des boeufs, avec une foule de paysans endimanchés accompagnés de leurs épouses en costumes de fête traditionnels.
Soudain, Charlotte se met à courir, rejoignant nos deux amis perdus de vue, me laissant seul avec Capucine, notre petit Yorkshire.
Je suis le mouvements, à mon rythme, sans me presser. La foule semble s’être donné le mot et se dirige dans la même direction.
Le paysage change insidieusement. Une rivière espiègle, un vallon riant, de joyeuses maisons à colombages apparaissent avec dans les prés des pommiers en fleurs, des vaches d'anthologie et des bergères de conte de fée.
Nous arrivons devant une entrée monumentale de pierres taillées surmontée d'un fronton arrondi en bois bronzé au brou de noix.
En lettres d'or se détache le nom du domaine : Alphonse Allais.
Je pénètre dans le parc, pressé par la foule. Avant de parvenir au guichet, je dissimule Capucine dans mon blouson. Lorsque je veux payer mon entrée, le préposé me dit :
– Pour vous c'est gratuit, vous êtes attendu.
Je salue du chapeau (moi qui n'en mets jamais, qui n'en possède pas, je porte
ce jour là un grand chapeau à larges bords!).
Une oie me conduit vers une maison extraordinaire. Une maison telle que je n'en ai jamais vue. Mon rêve invente pour moi une nouvelle architecture. A la fois harmonieuse, débraillée, loufoque.
Bâtiment rond en pierre, superstructures en verre fumé, appareil savant de poutres de bois et de bronze entrecroisées, avec dans les hauteurs des sortes de cabanes de pierre sèche suspendues, des nacelles en forme de huttes africaines, reliées entre par des échelles de corde, des échelles de cristal. Du sol, on peut aussi accéder à ces pavillons en plein ciel en empruntant des nacelles sustentées par des ballons qui s'élancent gaiement vers ces îlots.
Au rez-de-chaussée, je visite la première salle. Dans un bric-à-brac somptueux s'exposent pêle-mêle des mannequins de gendarmes, de soldats, de cantinières, de pierreuses... Aux parois couvertes de bibelots, d'armes, de bas-reliefs des tableaux de toute taille, du plus beau au plus laid, galerie de portraits de famille des années folles, avec ici et là, le maître des lieux en folle, en gibus, en africain, en clown aux côtés de ses amis et de ses contemporains, Zola le taciturne, Jules Renard l'espiègle, Sarah Bernhardt en cocotte, les frères Goncourt en singes savants, Mallarmé en bateleur de foire, Proust cycliste, etc.
Au sol, exposés en vrac dans de simples caisses de bois ou de vieux coffres décapités, des centaines de vieux livres écrits par maître Alphonse Allais ou lui étant consacrés. Il y a là des raretés, des merveilles, des portraits, des médaillons, des souvenirs émouvants... Les visiteurs tripotent ces trésors, les écornent, les jettent ou les empruntent en les glissant sans vergogne dans leurs sacs ou leurs chemises.
Plus loin, sous un auvent, des centaines de pantins désarticulés, souriants ou grimaçants à l'effigie d'Alphonse Allais. Dans la jardin, des jarres le représentent en bas relief. Plus loin, envahis par une végétation exubérante et joyeuse, des buissons de fleurs, des dizaines de statuettes en terre cuite représentant Alphonse Allais en faune rieur et barbu, au sexe triomphant.
Puis, sous une admirable rotonde aux armatures ajourées en fer forgé, des tables sur des chevalets portent des boîtes de chaussure pleines de pièces de monnaie, de médailles, de médaillons, de boutons portant l'effigie souriante ou goguenarde du maître.
Je rafle ici et là une pièce rare, puis, comme je sens Capucine s'agiter sur ma poitrine, enfermée dans mon blouson, je la pose à terre et, me dirigeant vers un jardin anglais un peu à l'écart, je la promène en laisse espérant ne pas attirer l'attention d'un gardien.
A un moment donné, Capucine d'accroupit, fit son besoin dans le gazon.
Derrière moi une voix de femme chuchote: Monsieur Schweizer, quelle surprise! Il y a
bien cinquante ans que nous ne nous sommes vus... Je ne broche pas. Je déteste
ce nom, je ne le supporte pas. Ce nom est ma croix. Ma honte. La voix poursuit:
Emile Schweizer, Schweizer... vous n'avez pas changé... Profil bas je poursuis mon chemin, sans broncher, comme si je n'avais rien entendu. A un moment donné, deux femmes, l'une ronde et forte, l'autre mince et sèche me dépassent en me dévisageant. Je sens leur regard sur moi, mais je garde obstinément les yeux à terre, sans répondre, comme si je n'étais pas concerné.
Capucine fait sa crotte sur le gazon.
Les deux femmes s'étant éloignées, je risque un regard sur les environs.
Je vois, à une cinquantaine de mètres, les deux silhouettes se retourner. Ce sont deux femmes inconnues vieilles et ridées, l'une maigre et sèche, l’autre mammelue et fessue qui me regardent de loin et j'entends la grosse dire à sa compagne: – C'est bien lui, Emile Schweizer, il n'a pas changé, mais aujourd'hui il fait le fier, il ne reconnaît plus ses petites amies de Genève...
C'est à ce moment que je me réveille...
19 janvier 2003 – Capucine. Née le 16 octobre 2002. Nous sommes allés la chercher à l'élevage de la région de Montargis où elle a grandi.
25 janvier 2003 – 5 heures du matin – Je note généralement mes souvenirs le matin, tôt. Charlotte dort encore.
Ce matin je rédige un de mes souvenirs concernant Rosemarie Leuch. A midi, Charlotte m'apporte une de ces grandes enveloppes kraft recouverte de cette grande écriture reconnaissable entre mille, émanant de "la folle".
En fait, l'histoire de Rosemarie Leuch vaudrait que l'on s'y arrête un peu plus longtemps. La vie de cette fille est pathétique. Même si elle a un grain, si dans son cerveau s'est développé un abcès de fixation, il est difficile de ne pas essayer de comprendre sa tragédie intime. J'y reviendrai. En attendant, après avoir lu sa lettre, pathétique et sordide, rabâchant toujours les mêmes tourments, ressassant toujours les mêmes folies, je l'ai jetée à la corbeille...
Février 2003 – Les soutes éventrées du XXX laissent toujours échapper du fioul dont les galettes viennent souiller les plages du Portugal à la Bretagne.



Les politiques pérorent, discutent, mais ne font rien. Le sacro saint Droit international les empêche d'agir.
Mais, pour tout homme saint d'esprit, le droit est fait pour être violé, nom d’une pipe !
20 Mars 2003 – Les Américains et les Anglais envahissent l'Irak après des semaines de bombardements sournois, sans déclaration de guerre. Ils veulent la peau de Saddam Hussein et son pétrole !
Après avoir ravagé ce pays, berceau de l'humanité, durant quelques semaines ils se sont installés en vainqueurs, les Américains dans la capitale, les Anglais à Bassorah.
Durant quelques nuits j'ai communiqué par l'internet avec Saddam Hamiz un internaute bagdadi, étudiant et poète, et échangé des propos philosophiques, lui depuis son appartement d'une tour du centre de la ville, ravagée par les bombes et les tirs de DCA, et moi bien au chaud et en sécurité dans mon atelier parisien.
Expérience curieuse. Ce qu'il voyait, ce qu'il me racontait, ne correspondait en rien à ce que rapportaient nos journaux et nous montraient nos chaînes de télé.







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